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Port-au-Prince, 15 avril 2025 – Dans un pays en proie à une crise sociopolitique et économique sans précédent, la signature, ce mardi 15 avril 2025, d’un protocole d’accord entre le Fonds National de l’Éducation (FNE) et le Programme National de Cantines Scolaires (PNCS) apparaît comme une tentative de sauver ce qui peut encore l’être dans le système éducatif haïtien. Si l’initiative est louable sur le papier, son efficacité reste à démontrer dans un contexte où l’État haïtien peine à assurer ses fonctions régaliennes, où l’insécurité paralyse les institutions, et où près de 4,9 millions de personnes – dont une majorité d’enfants – font face à une insécurité alimentaire aiguë (selon les dernières données du CNSA et du PAM).

L’accord, signé par la Directrice Générale du FNE, Mme Sterline Civil, et le Coordonnateur Général du PNCS, M. Kevenot Dorvil, se base sur l’article 27, alinéa h de la loi régissant le FNE, qui stipule que ses ressources doivent financer les cantines scolaires. Cependant, plusieurs questions se posent :
– D’où viendront réellement les fonds ? Le FNE, comme la plupart des institutions publiques, est sous-financé. Les contributions fiscales qui devraient l’alimenter sont régulièrement détournées ou mal gérées, et l’État haïtien dépend largement de l’aide internationale.
– Comment seront distribués les repas dans un pays où les gangs contrôlent près de 80 % de la capitale et bloquent les routes provinciales ?Des centaines d’écoles ont fermé ces dernières années en raison de l’insécurité, et le PNCS aura-t-il les moyens logistiques d’intervenir dans des zones à haut risque ?

Le programme des cantines scolaires est crucial en Haïti, où la malnutrition infantile atteint des niveaux alarmants (22 % des enfants de moins de 5 ans souffrent de retard de croissance, selon l’UNICEF). Un repas quotidien à l’école peut effectivement améliorer la rétention scolaire, surtout dans les zones rurales où le taux d’abandon dépasse 40 % (Banque Mondiale, 2024).

Cependant, cette mesure ne suffira pas à elle seule à enrayer la déscolarisation massive. Les problèmes structurels sont trop profonds :
– Des enseignants sous-payés et souvent en grève, faute de salaires réguliers. Les récentes mobilisations des enseignants et écoliers en sont la preuve.
– Des infrastructures scolaires délabrées ou occupées par des déplacés fuyant les violences. Nous pouvons en citer plusieurs exemples où les gens qui fuient les gangs, qui quittent leur habitats ont trouvé refuge dans les écoles (L’école nationale Jean-Marie Vincent), les universités (faculté linguistique appliquée )autres bureaux nationale (les locaux du Ministère de la communication).
– Un système éducatif toujours aussi inégalitaire, où près de 85 % des écoles sont privées – et donc inaccessibles aux plus pauvres.

Ce protocole intervient dans un contexte politique extrêmement fragile. Le gouvernement intérimaire, dont la légitimité est contestée, cherche à montrer des signes de fonctionnalité, mais les défis opérationnels sont immenses. Les bailleurs internationaux, qui financent une grande partie des programmes sociaux en Haïti, observeront de près la gestion de ce partenariat.

S’il est bien exécuté, ce programme pourrait redonner un semblant d’espoir à des milliers d’enfants. Mais si les fonds sont une nouvelle fois mal utilisés, ou si la logistique échoue à cause de l’insécurité, ce sera un échec de plus dans une longue liste de promesses non tenues.

Dans un pays où plus de 500 000 enfants ne sont pas scolarisés (UNESCO, 2024), chaque initiative compte. Mais sans une réforme globale du système éducatif, sans sécurité et sans stabilité politique, les cantines scolaires ne seront qu’un pansement sur une plaie béante. La signature de cet accord est un signal positif, mais sa réussite dépendra de la capacité des autorités à surmonter les obstacles systémiques qui étouffent Haïti depuis des décennies.

La balle est désormais dans le camp de l’État – et de ses partenaires – pour prouver que cette fois-ci, les paroles seront suivies d’actes.

Jean Wesley Pierre

Catégories : Éducation

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