Par Jean Wesley Pierre
Port-au-Prince, le 21 avril 2025 — Pendant que les tirs résonnent dans les quartiers populaires de la capitale, que des milliers de familles fuient l’insécurité au rythme des affrontements entre gangs rivaux, le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) annonce tranquillement l’organisation d’un référendum constitutionnel le 11 mai 2025, suivi d’élections générales le 15 novembre 2025. Une annonce qui, dans un pays en état de siège non déclaré, tient plus de la fuite en avant que d’un quelconque projet de reconstruction nationale.
Changer la Constitution, élire un président, renouveler les institutions : sur le papier, cela sonne comme une promesse. Mais dans les rues de Carrefour-Feuilles, de Cité Soleil, de Nazon, de Fort-national ou de Delmas, ce discours se heurte à la réalité d’un pays où les zones de non-droit s’étendent chaque jour davantage. Où est donc le lien entre les priorités du peuple et l’agenda du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) ? Qui peut croire, honnêtement, qu’un vote crédible pourra être organisé en moins d’un an, dans un climat d’insécurité généralisée et sans la moindre garantie de sécurité pour les électeurs, les candidats ou les observateurs ?
La Constitution de 1987 — imparfaite, certes — est devenue le bouc émissaire des élites politiques depuis des années. La réforme proposée, qui prévoit la suppression du Sénat, l’instauration d’un Parlement monocaméral, et la création d’un poste de vice-président à la place du Premier ministre, est taillée sur mesure pour une classe dirigeante pressée de se donner un cadre plus “efficace”. Mais efficace pour qui ? Et pour faire quoi ? Consolider un pouvoir sans contrepoids ? Recentrer l’exécutif pour mieux le contrôler depuis l’ombre ?
Pendant ce temps, les Haïtiens meurent. Ils meurent de balles perdues, de faim, de peur, de silence politique. Et au lieu de répondre à l’urgence — désarmer les gangs, rétablir l’autorité de l’État, sécuriser les écoles, les hôpitaux, les routes — les dirigeants préfèrent bricoler une réforme institutionnelle, comme si Haïti était une république fonctionnelle en mal de retouches cosmétiques.
À qui servira ce processus électoral si le peuple ne peut pas y participer librement, si les campagnes ne peuvent se tenir que dans des zones “pacifiées” à la marge ? À une élite déconnectée qui s’accroche à des postes pendant que le pays s’effondre ? À une communauté internationale avide de cocher la case “retour à la démocratie”, peu importe que ce retour soit vide de sens ?
La vérité, c’est qu’il n’y aura pas de démocratie sans sécurité. Pas de scrutin légitime dans un pays où l’État ne contrôle pas son propre territoire. Pas de constitution viable sans un débat national véritable, apaisé, inclusif.
Ce calendrier électoral imposé par le (CPT) Conseil présidentiel de transition ressemble à une opération de façade : maquiller l’échec sécuritaire par des promesses institutionnelles. C’est l’arbre qui cache une forêt de cadavres. C’est la réforme qui évite le courage. C’est une fuite en avant, tragique et cynique, à l’image d’un pouvoir qui gouverne sans voir, sans écouter, sans trembler.
Le peuple haïtien mérite mieux qu’un référendum sous occupation de gangs. Il mérite une paix réelle, des institutions fortes, et surtout des dirigeants capables d’affronter la crise, pas de la contourner.
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